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Les métastases hépatiques  du cancer colorectal

Publié dans Cancérologie digestive et gynécologique

Le foie est l’organe le plus atteint par la dissémination des cancers : plus d’un tiers de tous les cancers créent des métastases au foie.
Les métastases hépatiques représentent l’indication la plus fréquente du traitement chirurgical.


I.  Introduction

La tumeur primitive responsable des métastases les plus fréquemment opérées est le cancer colorectal. Il s’agit de la meilleure indication de résection de métastase hépatique. Actuellement, la survie à 5 ans après chirurgie varie entre 37% et 58% avec une survie à 10 ans de l'ordre de 20% à 25%.

Des progrès décisifs ont été accomplis ces dernières années dans le traitement chirurgical et la chimiothérapie des métastases de cancer colorectal. En effet, la combinaison de ces traitements a permis l'amélioration considérable des résultats de survie avec des possibilités de rémission à long terme voire de guérison.

II. Epidémiologie et histoire naturelle

Le cancer colorectal est le 3ème en France après les cancers du sein et de la prostate. En France, la même année, 16000 décès lui ont été imputés et 36257 nouveaux cas ont été enregistrés, ce qui correspond une augmentation de 50% de l'incidence de ce cancer entre 1980 et 2000.

Après la survenue d'un cancer colorectal, 40 à 50% des malades développent des métastases hépatiques. Les autres localisations de métastases de cancer colorectal sont plus rares. Des métastases synchrones, c'est-à-dire présentes lors de la découverte du cancer colorectal, sont trouvées dans 15 à 20% des cas. Le taux cumulé de métastases métachrones, c'est-à-dire découvertes à distance du traitement de la tumeur primitive, est d'environ 15% à 5 ans. Le risque de survenue de métastases est corrélé au stade du cancer primitif.

Le pronostic spontané des malades ayant des métastases hépatiques de cancer colorectal (MHCCR) est rapporté dans plusieurs séries anciennes. La survie médiane des patients avoisinait 6 mois et n'était pas influencée par le traitement ou non de la tumeur primitive. L'importance de la maladie tumorale hépatique était le facteur pronostique prédominant.


III. Surveillance du cancer colorectal et diagnostic de métastase hépatique métachrone

L'intérêt d'une surveillance après chirurgie colorectale est actuellement démontré. Cette attitude permet une diminution d'environ 10% du taux de mortalité à 5 ans. La découverte plus précoce d'une récidive plus souvent isolée explique ce gain de survie.
Les modalités de surveillance d'un cancer colorectal opéré ont fait l'objet d'une conférence de consensus en 1998 en France. Les recommandations sont :

  • un examen clinique tous les 3 mois pendant 2 ans puis tous les 6 mois pendant 3 ans
  • une échographie abdominale tous les 4 mois pendant 3 ans puis tous les 6 mois pendant 2 ans
  • une radiographie du thorax tous les ans pendant 5 ans
  • et une coloscopie tous les 3 ans si la coloscopie pré-opératoire était normale en dehors du cancer.

Dans notre pratique, nous réalisations un scanner thoraco-abdomino-pelvien en alternance avec une échographie tous les 4 mois et un dosage des marqueurs tumoraux (ACE et CA19-9). Avec ces modalités de suivi post-opératoire, on observe une résécabilité plus élevée des récidives avec des métastases plus petites, et en conséquence, un meilleur taux de survie.

Imagerie des MHCCR
Une imagerie d'excellente qualité est impérative à toutes les étapes de la prise en charge des métastases colorectales (diagnostic, évaluation et suivi postopératoire, évaluation de la réponse à la chimiothérapie...). C'est en effet autour de l'analyse de ces examens en réunion de concertation pluridisciplinaire que les décisions thérapeutiques sont validées.

Pour le diagnostic de métastase hépatique de cancer colorectal, le scanner abdominal ( TDM) spiralé avec injection d'iode et des coupes fines de 5 mm reste l'examen de référence. A la différence de l'imagerie par résonance magnétique (IRM), la TDM offre la possibilité de réaliser dans le même temps une exploration thoracique.

L'échographie trans-pariétale est utile pour mieux caractériser des lésions inférieures à 1,5 cm identifiées au scanner, notamment pour reconnaitre un petit hémangiome ou un kyste biliaire. L'injection de produit de constraste permet dans certaines situations d'en améliorer le rendement.

La scintigraphie au FDG (PET scan) semble être un examen performant dans l'imagerie diagnostique des MHCCR et plus encore dans celle des localisations extra-hépatiques.

L'échographie per-opératoire est considérée comme l'examen le plus sensible pour la détection de MHCCR notamment pour les lésions de petite taille. Son usage est systématique avant tout geste chirurgical portant sur le foie.


IV. Le traitement des métastases hépatiques de cancer colorectal Stratégie globale

L'exérèse chirurgicale des métastases hépatiques est le seul traitement susceptible d'offrir une survie à long terme. Actuellement, la survie à 5 ans après chirurgie varie entre 37% et 58% avec une survie à 10 ans de l'ordre de 20% à 25%. La chimiothérapie prolonge indiscutablement la survie à court et moyen terme, mais la survie à 5 ans en l'absence de chirurgie associée est exceptionnelle.

Les traitements de destruction locale de type radiofréquence ou cryothérapie peuvent être efficaces sur des métastases isolées de petite taille et offrir une rémission prolongée. Néanmoins, le consensus est de réserver ces traitements locaux aux situations où une exérèse chirurgicale n'est pas réalisable.

Il y a quelques années, la décision de traiter un patient non résécable par chimiothérapie systémique était définitive. Plus récemment, l'intérêt de reconsidérer la chirurgie chez les patients « répondeurs » à la chimiothérapie s'est fait jour et a permis d'améliorer les résultats en termes de survie. Ainsi, les stratégies actuelles ont pour objectif de conduire à la résection chirurgicale puisqu'elle est le seul traitement compatible avec une rémission prolongée, voire avec une guérison.


IV a.  La chirurgie

Son principe consiste à effectuer l'exérèse complète de toutes les lésions tumorales en laissant au moins 30% de parenchyme hépatique non tumoral bien vascularisé. La préservation d'une proportion suffisante de foie non tumoral est une condition nécessaire pour éviter une insuffisance hépatique post-opératoire. La résection hépatique n'est en outre justifiée que si elle est complète.

La seule exception à ce principe est l'hépatectomie en 2 temps dont le principe consiste, dans les tumeurs multiples non résécables en un seul temps, à réséquer une partie des tumeurs par un premier temps d'hépatectomie, d'attendre la régénération du foie restant et de compléter la résection tumorale dans un deuxième temps.

Dans tous les cas, l'exérèse de la tumeur doit idéalement comporter une marge de sécurité d'environ 1 cm de tissu non tumoral afin de limiter au maximum le risque de récidive locale.
La mortalité post-opératoire de la chirurgie des métastases est comprise entre 0% et 3,7% dans la plupart des séries récentes et la fréquence des complications post-opératoires varie de 15% à 46%.

- Le concept de résécabilité

C'est un élément crucial dans la stratégie thérapeutique car de la résécabilité découle le recours ou non à la chirurgie. C'est aussi la notion la plus difficile à définir, tant la résécabilité peut varier d'une équipe à l'autre en fonction de l'expertise chirurgicale et de l'interprétation que chacun peut avoir de la balance bénéfice/risque.

- Les facteurs pronostiques

Facteurs généraux

L'âge ne doit pas être considéré en soi comme une contre-indication à la chirurgie hépatique. Nombre de malades âgés de plus de 75 voire 80 ans sont actuellement opérés, sous réserve de l'absence de contre-indication liée aux co-morbidités, plus fréquentes à cet âge. Les résultats de survie sont peu différents de ceux des malades plus jeunes.

Facteurs liés à la tumeur primitive

La présence de ganglions envahis et un intervalle de moins d'un an entre la résection du cancer primitif et l'apparition de métastases hépatiques sont tous deux associés à un moins bon pronostic.

Le site du cancer primitif aurait aussi une valeur pronostique mais celle-ci est diversement appréciée. Certains ont montré que les patients avec cancer du colon droit avaient un moins bon pronostic que ceux ayant un autre cancer du colon ou du rectum. D'autres ont néanmoins rapporté un moins bon pronostic pour les cancers du rectum.

Le haut grade et le stade du cancer primitif sont également corrélés à une moins bonne survie.

Le nombre des métastases

Jusque dans les années 90, il était classique de considérer que seuls les malades ayant trois métastases au plus étaient susceptibles de bénéficier à long terme de la résection. Cette recommandation n'a plus cours actuellement et le nombre de métastases n'est plus une contre-indication sous réserve que l'exérèse des lésions soit complète.

Le nombre de métastases reste un facteur pronostique souvent utilisé dans les études. Dans l'expérience de l'hôpital Paul Brousse, la survie à 5 ans des malades réséqués d'au moins 4 métastases est de 30%. Même si elle est inférieure à celle des malades avec 3 lésions ou moins (survie à 5 ans : 45%), la résection n'en reste pas moins la seule possibilité de survie à long terme.

La taille des métastases

Les patients ayant de petites métastases ont un meilleur pronostic que ceux ayant une tumeur plus volumineuse. Néanmoins ces derniers peuvent bénéficier d'une chirurgie d'exérèse. La valeur seuil traditionnelle était de 5 cm cependant les séries plus récentes montrent que ce sont surtout les tumeurs de plus de 10 cm qui sont associées à un mauvais pronostic. Mais plus que la taille des tumeurs, c'est le pourcentage de foie envahi par la tumeur qui a une vraie valeur pronostique : le taux de survie à 5 ans s'élève à seulement 15% au-dessus de 50% de foie envahi.

Les marqueurs tumoraux

L'augmentation de l'ACE pré-opératoire est un facteur de mauvais pronostic. Le CA 19.9, les phosphatases alcalines et l'albumine pourraient également avoir une valeur pronostique.

Les marges de résection

Il est traditionnel de recommander une marge de résection de 1 cm pour toute exérèse de lésion tumorale maligne au niveau du foie.

Si la résection tumorale macroscopiquement incomplète doit être proscrite car il n'existe pas de bénéfice de survie, la résection macroscopiquement complète de la métastase sans marge est compatible avec une possibilité de survie à long terme.

Cette dernière situation est le plus souvent imposée par les rapports tumoraux avec les structures vasculaires et biliaires intrahépatiques. En outre, une équipe japonaise a récemment montré que 80% des récidives locales se développaient dans une marge de 2 mm par rapport à la métastase. Une marge de 2mm pourrait ainsi s'avérer suffisante dans la majorité des cas.

L'existence de métastases extra-hépatiques

C'est un autre facteur pronostique défavorable reconnu dans de nombreuses études. Néanmoins la résection séquentielle des 2 sites métastatiques quand elle se révèle potentiellement complète est compatible avec un bénéfice de survie à long terme.

Ceci est particulièrement vrai pour les métastases pulmonaires dont l'exérèse séquentielle combinée à celle des métastases hépatiques offre une espérance de survie de 25% à 45% à 5 ans. Récemment, le nombre total de sites métastatiques (> 6) plus que leur localisation intra ou extra-hépatique a été retrouvé comme le facteur de plus mauvais pronostic. Les localisations ganglionnaires ou péritonéales sont généralement associées à un plus mauvais pronostic.

En pratique, le consensus actuel est de proposer la chirurgie dès lors qu'elle est techniquement faisable et potentiellement complète, indépendamment des facteurs pronostiques « défavorables », car la résection reste la seule possibilité de survie à long terme au prix d'un risque relativement faible de morbi-mortalité.


IV b. Les traitements locaux

Le principe du traitement local est d'induire la destruction de la tumeur au moyen d'une sonde générant du froid (cryothérapie) ou de la chaleur (radiofréquence). La sonde est placée le plus souvent sous contrôle de l'échographie au centre de la tumeur par voie percutanée, par chirurgie ouverte ou sous laparoscopie.

Les meilleurs résultats sont obtenus pour les tumeurs inférieures à 25 mm avec une nécrose tumorale observée dans plus de 90 % des cas. Les contre-indications concernent les tumeurs au contact des canaux biliaires car il existe alors un risque de nécrose biliaire. Le contact vasculaire est une contre-indication relative menant souvent à un traitement moins satisfaisant de par le refroidissement (si radiofréquence) ou le réchauffement (si cryothérapie) de la tumeur au contact du vaisseaux. Actuellement, la plupart des centres sont équipés en appareils de radiofréquence.

Ces traitements locaux dont l'efficacité est comparable sont habituellement réservés aux métastases hépatiques non résécables. Leur efficacité, moindre que la chirurgie, peut s'expliquer par le bilan d'extension plus exhaustif et le traitement plus complet qu'offre la chirurgie par rapport à un traitement local mené par voie percutanée. Il a en effet été montré que dans 30 % des cas, l'exploration ou l'échographie per-opératoire mettent en évidence des lésions additionnelles hépatiques ou extra hépatiques qui modifient l'attitude thérapeutique.


IV c. La chimiothérapie

- La chimiothérapie seule

Elle constitue le traitement de référence des métastases hépatiques non résécables car elle prolonge la durée de survie et améliore la qualité de vie. Alors que les taux de réponse objective n'étaient que de l'ordre de 20 à 30% avec l'association de 5FU et d'acide folinique, l'apport de nouvelles molécules comme l'oxaliplatine ou l'irinotécan a permis d'augmenter les taux de réponse autour de 50% et d'améliorer la médiane de survie de 6 mois à environ 2 ans. L'émergence des biothérapies telles que les inhibiteurs des récepteurs de l'Epidermal Growth Factor (EGFR) (Cetuximab) ou les inhibiteurs de l'angiogénèse (Bevacizumab) sont susceptibles d'améliorer encore ces résultats. Cependant, le taux de survie à 5 ans des patients uniquement traités par chimiothérapie reste inférieur à 1%. Ainsi la chirurgie est une perspective recherchée en cas de réponse à la chimiothérapie car elle seule ouvre la possibilité d'une survie prolongée.

- La chimiothérapie associée à la chirurgie

Chimiothérapie pré-opératoire

Elle est qualifiée de "néo-adjuvante" lorsqu'elle s'adresse à des patients dont les tumeurs sont d'emblée considérées comme résécables.

C'est une chimiothérapie "d'induction" quand elle est administrée par nécessité devant des métastases non résécables. Dans ce dernier cas, c'est la réduction tumorale observée sous l'effet de la chimiothérapie qui peut rendre ces patients résécables. L'expérience de l'Hôpital Paul Brousse a montré à ce titre que la résection après chimiothérapie des MHCCR s'accompagne d'une survie de 34% à 5 ans et les taux de résécabilité peuvent être augmentés de 20 à 30%.

L'effet bénéfique de la chimiothérapie combinée à la chirurgie dans les formes non résécables de métastases hépatiques a posé la question de l'intérêt de la chimiothérapie pré-opératoire aux formes d'emblée résécables. Des études récentes ont pu montrer que la chimiothérapie pré-opératoire serait susceptible d'augmenter la survie à long terme notamment dans les formes multinodulaires. Des travaux révèlent toutefois qu'une toxicité de la chimiothérapie sur le parenchyme hépatique existe (variable suivant les drogues employées) mais son impact sur la morbidité post-opératoire reste limité.

Chimiothérapie post-opératoire

Le risque de récidive après résection des métastases hépatiques est de 60 à 70%, même lorsque les règles de la chirurgie carcinologique sont respectées. La chimiothérapie post-opératoire a donc pour objectif de traiter la maladie microscopique potentielle résiduelle à la chirurgie pour prévenir ou retarder la survenue de récidives.


IV d. Les récidives tumorales après hépatectomie

Malgré le respect des règles carcinologiques, près de 2/3 des malades présentent une récidive tumorale dans les suites d'une chirurgie des métastases hépatiques. La chimiothérapie adjuvante post-opératoire est susceptible de réduire ce risque de récidive.

Lorsque la récidive se produit, elle se fait sous forme de localisations hépatiques isolées dans 1/3 des cas. Dans ces cas, le recours à une deuxième voire à une troisième hépatectomie comporte un risque opératoire et des résultats de survie analogues à la première hépatectomie. Ainsi, dans le contexte de récidive, une hépatectomie itérative est envisagée chez tous les patients pour lesquels la résection est potentiellement curative.

La même attitude s'applique à la survenue de métastases extra-hépatiques, et en particulier pulmonaires, dont la résection après hépatectomie autorise une survie à 5 ans de 35% tout à fait comparable à celle des métastases hépatiques ou pulmonaires isolée.